De Shanghai à Washington, déclassement des classements et prise de confiance ?

20/08/2014

C'est le marronnier de l'année en matière d'enseignement supérieur et de recherche. Sorte de running gag universitaire, la publication du sacro-saint classement de Shanghai a encore fait parler d'elle cette année. Et pour cause, ce qui fût en 2007 l'un des arguments forts pour justifier la création des PRES - Pôles de Recherche et d'Enseignement Supérieur- et aujourd'hui enfin remis à sa place, celle d'un simple indicateur parmi tant d'autres, biaisé et donc, subjectif. "On ne va pas construire notre politique pour monter dans le classement de Shanghai !?" assurent Benoit Hamon et Geneviève Fioraso. Pour autant, la question de l'efficacité de notre enseignement supérieur se pose, et ne saurait être éclipsée du fait d'un classement faussé.

Shanghai 2014, la France au 6ème rang

Il est tout de même intéressant de revenir sur les résultats de ce cru 2014. Parmi les 500 premiers établissements d'enseignement supérieur, 21 sont français. C'est un de plus qu'en 2013 (l'université d'Auvergne fait son entrée dans le classement).

Parmi eux, quatre établissements figurent dans le top 100 :l'UPMC (35e), Paris-Sud (42e), l'ENS (67e) et l'université de Strasbourg (95e). Trois établissements reculent : l'Ecole polytechnique, Paris Dauphine et l'université de Nice. La France se maintient donc à la 6ème place mondiale.

Mais on le sait, ce classement est biaisé. Et c'est le président de l'université de Strasbourg qui le dit, alors même que son établissement figure dans le top 100, première université française hors-Paris : « Rappelons-le, le classement de Shanghai utilise des données souvent discutables, à la fiabilité très relative. Toutes les disciplines ne sont pas intégrées, ce classement en ignore systématiquement certaines, comme les sciences humaines et sociales, qui dans notre université, sont très présentes et de haut niveau. La formation, pilier des missions universitaires, n'est absolument pas prise en compte, de même que la vie étudiante, les activités culturelles ou l'insertion dans les territoires ».

Mais, les critiques adressées à ce classement ne le sont elles pas précisément car elles sont défavorables aux écoles et universités françaises ? Absolument, et alors ? C'est justement parce qu'il est défavorable à un modèle d'enseignement supérieur non sélectif, aux frais d'inscription faibles, et à la prise en compte de la pédagogie qu'il est pertinent et important de s'y opposer. Car un classement, on le sait, a un fort effet « signal », et qu'il est préférable que ce signal soit au bénéfice d'un enseignement supérieur ouvert plutôt qu'à un enseignement supérieur élitiste.

Au delà des classements, la question de l'efficacité pédagogique de notre enseignement supérieur

Car au-delà des classements, c'est la question de l'efficacité pédagogique de l'enseignement supérieur français qui est posée. Et cette question ne saurait être éludée à l'heure où le rôle de l'université dans la société se fait de plus en plus stratégique.

C'est ce qu'ont compris les présidents d'universités américaines, réunis au sein du « Presidential innovation lab » à l'initiative de l'American council on education. Ces présidents ont été invités à débattre des conséquences pour l'enseignement supérieur de l'évolution du profil des étudiants, notamment leur rapport aux nouvelles technologies, mais aussi leur rapport à la connaissance et leur capacité à rester concentrés longuement sur un même sujet.

Leurs conclusions sont éclairantes sur les conséquences pédagogiques des changements sociaux actuels.

Un besoin d'apprentissage collectif et social

« Dans une société qui est passée d'un état de rareté du savoir à une disponibilité de celui-ci 24 heures sur 24, les établissements d'enseignement supérieur vont devoir s'adapter. » Cette connexion constante aux réseaux et aux ressources devrait amener les professeurs à envisager de travailler en bonne intelligence avec la technologie, et non pas de tenter de l'interdire ou d'y résister selon ces présidents d'universités américains. De plus, les étudiants viendront à l'université avec « une idée très différente de ce à quoi ressemble l'acquisition de savoirs ». « Beaucoup savent déjà comment trouver l'information. Ils ne veulent pas d'un expert debout devant la classe, mais un facilitateur qui encourage l'apprentissage collectif et connecté, dans lequel chacun peut s'engager et apporter quelque chose ». La clé est de « savoir relier les étudiants les uns aux autres, et cela change la manière d'enseigner ».

C'est un véritable besoin d'apprentissage collectif, social, de la part des étudiants que soulignent les présidents d'universités américains. « Les jeunes font dorénavant partie d'une large chaîne de distribution : ils sont habitués à recevoir des réponses instantanées et nombreuses à leurs tweets, leurs statuts Facebook ou leurs photos. L'idée qu'ils pourraient avoir à travailler pour une audience unique (le professeur) et attendre de longues périodes avant d'avoir un retour ne correspond pas à ce modèle. »

Une pédagogie rénovée pour répondre à des attentes nouvelles

Enfin, les présidents d'universités américains soulignent que les jeunes générations « portent une véritable attention au monde qui les entoure » et qu'elles veulent « le rendre meilleur ». Ils suggèrent donc que les universités trouvent le moyen de rendre leurs cours pertinents par rapport à ces attentes, notamment en autorisant les étudiants à d'abord identifier un problème qu'ils souhaitent résoudre avant de leur procurer les ressources qui le leur permettront. Elles plaident pour des approches pluridisciplinaires autour de grands enjeux (l'environnement, la longévité...), qui correspondent mieux à la façon dont les gens veulent travailler aujourd'hui.

Cette quête de sens et de pertinence, l'université doit y répondre. Les conclusions du « Presidential innovation lab » pourraient d'ailleurs inspirer le comité d'experts de la stratégie nationale d'enseignement supérieur.

L'obligation morale d'être ambitieux

A l'heure où le nombre d'étudiants n'a jamais été si élevé en France, mais où la place de l'université est sans cesse remise en cause, les organisations étudiantes n'ont plus le luxe d'être défaitistes. Nous ne sommes pas une génération sacrifiée. De multiples solutions existent aux problèmes qui se posent aujourd'hui.

L'image de l'université se dégrade disent certains ? Redonnons lui de l'éclat en la rendant plus attractive sur le plan pédagogique. Les jeunes se détourneront de l'université si cette dernière ne répond plus à leurs besoins. Le classement de Shanghai est certes biaisé, mais il ne doit pas éluder le besoin d'adaptation de l'université française aux besoins nouveaux.

Oui, classer les universités est par définition une ineptie. « Travailler à l'université, pour l'université, ce n'est pas travailler pour les classements » a déclaré Alain Beretz. La FAGE a toujours soutenu cette thèse. Mais il est important de poser cette question : quelles places occuperaient les universités françaises si un classement prenait en compte l'innovation pédagogique?

Se poser cette question, c'est déjà y répondre. Le gouvernement doit élaborer des pistes de réflexion, sur la base d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur ambitieuse, innovante, confiante dans les forces de notre système, et mettant l'étudiant au cœur de la pédagogie.

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