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Le blog du Président de la FAGE
Régulièrement, la présidente ou le président de la FAGE publie une tribune sur des sujets liés à l'enseignement supérieur et la recherche, à la jeunesse ou à la société.
Vous pouvez également y retrouver des articles de ses prédécesseurs Paul Mayaux, président de 2020 à 2022, Orlane François, présidente de 2018 à 2020, Jimmy Losfeld, président de 2016 à 2018 ainsi qu'Alexandre Leroy, président de 2014 à 2016.
novembre 2015
« Meilleurs Bacheliers » : cheval de Troie de la sélection généralisée ?
En Juillet 2013, la loi relative à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, dite loi « Fioraso » introduisait une nouvelle mesure relative à l’entrée dans l’enseignement supérieur : le dispositif « Meilleur Bacheliers ». Cette mesure, décrite à l’article L 621.3.1 de la loi, prévoit que les meilleurs bacheliers, sur la base de leurs résultats au baccalauréat, bénéficient d’un droit d’accès dans les formations sélectives de l’enseignement supérieur.
Les arguments du ministère avaient alors porté sur l’intérêt présumé d’accorder à chacun une chance d’accéder aux formations « d’élite » de l’enseignement supérieur, et ce quel que soit le lycée d’origine du jeune bénéficiant du dispositif. C’est donc d’égalité dont il était question : d’égalité des chances d’accéder aux formations sélectives. Pourtant, dès les prémices de ces discussions la FAGE avait fait état de son scepticisme portant à la fois sur le dispositif, et sur ses motivations.
Bien entendu, la FAGE a toujours été défenseuse de l’égalité, à ceci près que l’égalité que nous poursuivons est celle des droits plutôt que des chances. Si le problème d’autocensure d’une partie des jeunes au moment de leur choix d’orientation est réel et prégnant, celui-ci ne se joue pas en Terminale, et ne pourra certainement pas trouver sa résolution dans un dispositif si tardif. Par ailleurs, il nous était alors insupportable de constater que le ministère lui-même jouait le jeu de l’Université-Bashing, en sous-entendant que la place des « meilleurs bacheliers » n’est en tout état de cause pas à l’Université.
Aussi, la notion même de « meilleurs bacheliers » doit nous interroger. Peut-on vraiment considérer qu’une épreuve terminale, qu’un examen couperet trop légèrement adossé au contrôle continu et incitant au bachotage soit en capacité de donner une vision solide de l’acquisition des compétences ciblées ? Ne doit-on pas garder à l’esprit que chacun réagit différemment à la pression d’un examen terminal, indépendamment de son degré de maîtrise des compétences examinées ? Ainsi, la question des « meilleurs bacheliers » se pose : Qui sont-ils ? Aux yeux de qui ? Au regard de quels critères ?
Un autre argument à la nécessité d’un tel dispositif était qu’une réduction de la reproduction sociale opérée au sein des formations sélectives était possible en y proposant une place à un pourcentage identique de bacheliers de chaque lycée. C’était là encore un pari audacieux, sachant que les déterminants socio-culturels pèsent pour beaucoup dans la capacité à obtenir une bonne moyenne au baccalauréat. Et ce au cœur de chaque lycée, même de ceux accueillant des publics aux besoins d’accompagnement plus élevés, au sein de territoires aux contextes socio-économiques plus complexes. Enfin, il faut rappeler qu’en guise de bilan de sa première année d’existence, le dispositif « Meilleurs Bacheliers » n’avait finalement concerné que 223 lycéens.
C’est donc au sujet d’un dispositif mal ciblé, s’appuyant sur une analyse superficielle des racines de la ségrégation sociale dans le supérieur, dénigrant le modèle universitaire –celui du service public, de l’accès et de la réussite de tous- et affichant finalement un taux de recours ridicule que la FAGE avait exprimé, à raison, des doutes sérieux.
Lundi 23 novembre 2015, le CNESER débattait du dispositif « Meilleurs Bacheliers » et plus précisément de son avenir. Les élus CNESER de la FAGE ont pu rappeler les raisons de l’opposition de notre organisation à sa poursuite. Ils furent les seuls étudiants à ne pas apporter leur consentement au maintien de ce dispositif. Le ministère a quant à lui fait savoir qu’il envisageait d’opérer deux modifications majeures :
contacter systématiquement chaque lycéen éligible,
étendre le dispositif aux filières universitaires non-sélectives mais dont les capacités d’accueil sont saturées.
Entendez plutôt : organiser le détournement des 10% de bacheliers obtenant les meilleures moyennes vers les formations sélectives, souvent non-universitaires, et instaurer une priorité d’accès aux « meilleurs bacheliers » pour certaines filières universitaires aujourd’hui concernées par le tirage au sort faute de moyens nécessaires.
Cela ressemble à s’y méprendre à de la sélection ! Le tout, sous le regard bienveillant et approbateur de la moitié des représentants étudiants au CNESER ; cette moitié dont nous ne faisons pas partie ! Las, aujourd’hui nous n’exprimons plus seulement des doutes, mais une crainte réelle et fondée ! Contacter chacun des « meilleurs bacheliers » pour l’inciter à se détourner de l’Université, nous semble plus qu’un affront, une bêtise.
Pire, l’extension de la mesure aux filières universitaires non-sélectives faisant aujourd’hui face à des capacités d’accueil maximales, constitue pour les défenseurs de la démocratisation que nous sommes un cheval de Troie extrêmement dangereux. En effet, cette mesure pour être mise en œuvre devra s’appuyer sur une modification de l’article L. 612.3 qui empêche aujourd’hui les universités d’organiser le tri des étudiants qui souhaitent s’y inscrire. Mais surtout, privilégier l’accès des « meilleurs bacheliers » aux filières en tension, c’est porter un coup d’estoc féroce à la notion de non-sélection à l’entrée à l’Université.
Comprenons-nous bien, la démocratisation de l’accès au savoir grâce au service public d’enseignement supérieur n’a été acquise et ne sera maintenue qu’au prix d’une bataille culturelle de tous les instants. Ses détracteurs sont à l’œuvre, sur chaque sujet, et à chaque occasion afin d’en éroder peu à peu tous les fondements. Cette disposition y participera fatalement, quelle qu’en soit la motivation initiale.
Elle y participera en ce qu’elle sous-entend une idée à la fois simple et répandue : la simple obtention du baccalauréat ne peut plus suffire à justifier la poursuite d’études dans le supérieur. Il faut plus, il faut mieux. Quand bien même ce soit entendable, quand bien même -et je n’y crois pas- il y aurait un problème de niveau au sortir du lycée, pourquoi ne pas le réformer en profondeur ? Pourquoi ne pas se poser, sereinement mais résolument, la question du baccalauréat ?
Le choix d’étendre le dispositif « Meilleurs Bacheliers » remet, enfin, fondamentalement en question l’approche par compétence dans l’élaboration des programmes et dans la pédagogie. Il nous ramène une fois encore face à la question de la note. Durant trois ans, un lycéen est supposé acquérir un ensemble de compétences ciblées dans les programmes afférant aux enseignements et autres référentiels. L’obtention du baccalauréat est conditionnée à la maitrise de ces compétences et ouvre droit, mention ou non, à une poursuite d’étude à l’Université. Privilégier les 10% de bacheliers obtenant les « meilleures notes » revient à remettre en question l’universalité de ce droit.
Voici donc de quoi il est question aujourd’hui : doit-on faire évoluer un dispositif inutile au regard des besoins et des réalités en un dispositif tout aussi peu utile, mais désormais dangereux pour la notion même d’égalité de tous les jeunes face au droit de se former à l’Université ? L’extension de ce dispositif est basée sur une politique de la rustine consistant à trouver des réponses temporaires à un système qui, faute de véritables solutions notamment budgétaires, prend l’eau. Ce ne sont pas d’arrangements faisant figures de comptes d’apothicaires dont a besoin la démocratisation de l’enseignement supérieur, c’est de réformes s’inscrivant dans des dynamiques globales, accompagnées par une programmation budgétaire à la hauteur de nos ambitions. Dans un contexte voyant déjà les appels à l’instauration de la sélection généralisée, la FAGE n’est pas dupe. Nous ne laisserons pas se créer une brèche qui année après année, renforcera l’idée selon laquelle l’obtention du bac ne peut plus être garante du droit d’étudier à l’Université
J’en appelle enfin à la responsabilité de tous les représentants des étudiants : prenons garde à ne pas semer -par l’accord tacite et béat à l’extension du dispositif « Meilleurs Bacheliers »- les graines de la sélection. Ce que nous récolterions ne saurait être autre chose que l’élitisme et la ségrégation sociale dans l’enseignement supérieur.
Tribune rédigée par Alexandre Leroy, Président de la FAGE de 2014 à septembre 2016.
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