"Le premier jour nous marchions sur les traces des lieux de vie juive en
Pologne, où près de 3 millions de juifs habitaient avant la Shoah, soit près 10
% de la population nationale polonaise. 2 700 000 juifs polonais ont été
assassinés en six ans et il ne reste aujourd’hui qu’entre 8 000 et 12 000 juifs
en Pologne.
Dans le quartier de Kazimierz où la vie juive était intense, la plupart
des synagogues ont été transformées en musées ou parfois en magasins... Seule
la synagogue Remu et son cimetière sont encore entretenus par la maigre
communauté juive de Cracovie. Dans ce quartier devenu un lieu touristique, un
business juteux tenu par des polonais fait commerce de cette vie juive disparue
: restaurants de houmous, petits trains et visites aux « promos » alléchantes
organisées par des tours opérateurs ont remplacé l’authenticité d’une culture
juive décimée. Le visiteur ne sait plus s’il est sur ce qui était autrefois un
lieu de vie ou dans un parc d’attractions du Yiddishland destiné à attirer les
touristes.
Du ghetto de Cracovie où 65 000 juifs étaient parqués jusqu’à sa
liquidation les 13 et 14 mars 1943, il ne reste que bien peu de choses. Sur la
place Zgody rebaptisée Plac Bohaterow Getta (place des héros du ghetto), 65
chaises sont érigées et symbolisent cette absence. Quelques centaines de mètres
plus loin, les murs du ghetto en forme de pierres tombales font face à un
étrange jardin avec des balançoires où des enfants jouent, comme si ce lieu
n’était qu’un jardin.
La banalité du quotidien étouffe le cri de ceux que les bourreaux ont
assassinés, dans le silence de l’Humanité.
Ici, en 2017, la Mémoire est malmenée par un gouvernement révisionniste
et nationaliste qui sape les libertés fondamentales, réécrit l’histoire,
minimise la responsabilité des polonais dans le processus d’extermination des
juifs et favorise l’émergence de groupes nationalistes qui rassemblaient 60 000
personnes à Varsovie début novembre sous les cris de « la Pologne pure, la
Pologne blanche ».
Dans ce contexte, la transmission de la Mémoire de la Shoah est
complexe. Et pourtant ce n’est pas qu’une Mémoire juive, mais une Mémoire
universelle que chacun peut s’approprier et transmettre.
Pour les médiateurs CoExist qui interviennent dans plus de 300 classes
chaque année, cette Mémoire structure un engagement contre le racisme,
l’antisémitisme et les discriminations. À travers ce voyage, ces médiateurs qui
déconstruisent les préjugés dans les classes deviennent des facilitateurs, des
entremetteurs, capables demain de rapprocher la Mémoire de la Shoah de ceux qui
s’en sentent parfois éloignés.
Notre voyage de la Mémoire avec les médiateurs du programme CoExist
s’est poursuivi à Birkenau, Auschwitz 1 et Treblinka.
Nous avons débuté la visite sur le chemin de la Judenrampe qui était
utilisé jusqu’en avril 1944 par les SS pour acheminer les juifs d’Europe et
décider de leurs sorts par la « sélection ».
C’est sur ces lieux, le long des rails, que Mengele et les « médecins »
nazis dévoyaient le serment d’Hippocrate pour décider d’un revers de main ceux
qui seraient envoyés dans les chambres à gaz et ceux qui accéderaient au camp.
2 millions de personnes se rendent chaque année à Auschwitz, qui figure
dans bon nombre de guides touristiques polonais comme un endroit à ne pas
manquer.
À Auschwitz, 1 100 000 personnes ont été assassinées dont 960 000 juifs
venus de toute l’Europe.
Le pavillon français rappelle que 76 000 juifs de France ont été
déportés dont 11 000 enfants.
Auschwitz est le plus grand cimetière juif au monde. Un cimetière sans
sépulture, sans tombe, sans cercueil.
Médiateurs de la mémoire, nous avons poursuivi notre périple à
Treblinka, où 30 000 pierres dressées au milieu d’une clairière rendent hommage
aux 850 000 juifs qui y ont été assassinés entre juillet 1942 et août 1943.
De ce site de mise à mort, seule une soixantaine de personnes a
survécu.
Le contraste avec Auschwitz est saisissant. La façon dont ce lieu est
préservé est radicalement différente. Le nombre de visiteurs qui s’y rende est
également incomparable. Treblinka est conçu comme un lieu de Mémoire juive. Les
polonais ne s’y rendent pas.
De retour en France, chaque participant du voyage a pris l’engagement
de préserver cette Mémoire. Dans une société où certains voudraient à nouveau
nous séparer selon les « races », la diversité de ce groupe est une source
d’espoir pour l’avenir : la Mémoire de la Shoah appartient à chaque personne
qui souhaite en être le dépositaire. L’assignation identitaire et victimaire
est un enfermement, là où le combat antiraciste, l’engagement militant
émancipent et ouvrent des horizons nouveaux."
Sacha GHOZLAN, Président de Coexist
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